Le Comité des citoyens de l’Aire 10

Le maire Lamontagne et le curé Lavoie, 2 novembre 1968, le Soleil.

  1. Le logement: l’enjeu fondateur
  2. Une question de classe et de cinéma
  3. L’école Jacques-Cartier
  4. Des services à la tonne
  5. L’ère des expropriations
  6. Loyers modique: gloire et misère
  7. Une occup’ pour sauver les meubles
  8. Radical, pas radical
  9. L’enlèvement des voies ferrées
  10. La Clinique Populaire d’Architecture
  11. Démobilisation et querelles internes
  12. Pour en savoir plus

Dès 1965, les gens du quartier Saint-Roch sont sur la défensive. La ville est aux prises avec des rêves de modernisme en béton, de grandioses projets d’autoroutes, de tours à bureaux et d’hôtels. Le rapport Martin, commandé par la ville, découpe le centre-ville en zones de “réaménagement” numérotées. Saint-Roch devient la zone numéro 10. Le plan sème l’inquiétude. Les ravages causés à la Colline parlementaire laissent présager le pire.


Véritable pionnier à Québec, le Comité des citoyens de l’Aire 10 (CCR-10) sera actif sur plusieurs fronts de 1966 à 1981: le logement, la pauvreté, la défense des droits etc. Face aux destructions massives dans le quartier St-Roch, des citoyens et citoyennes se mobilisent pour y faire obstacle. Le CCR-10 sera de tous les combats.

Tout commence à l’été 1966. Raymond Lavoie, le bouillant curé de Saint-Roch, décide de rassembler une petite élite de marchands, de marguilliers et de notaires. Leur objectif est d’accélérer le réaménagement de leur quartier et de s'assurer qu’il soit fait au profit des résidantes et résidants. Le Service Familial de Québec, premier regroupement de travailleurs sociaux de la capitale, met un animateur à la disposition du groupe. L’espoir est au rendez-vous: la première assemblée en janvier 1967 regroupe 1000 personnes. Le Comité des citoyens de l’Aire 10 est né.

Le logement: l’enjeu fondateur

Assemblée générale, film "Aire 10".

En 1966, le CCR-10 mène un sondage auprès de 500 personnes et la conclusion ne laisse pas place à l’ambiguïté : 97% d’entre elles souhaitent rester dans le quartier. Une pétition est lancée pour réclamer des relogements dans Saint-Roch. La tactique fait réagir: une assemblée publique portant sur les voies ferrées, le réseau routier et le HLM rassemble entre 1000 et 1200 personnes.

Le curé Lavoie, film "Aire 10".


Le projet du curé Lavoie vu par Gérald Doré, ex-animateur social. 19 sec.

Place Bardy, 1971. Ville de Québec, service de police. Archives du service de l'aménagement du territoire.

La construction de HLM est le premier enjeu du Comité. En 1968, ses membres apprennent par les journaux que la Ville a décidé de l’emplacement d’un futur HLM et ce, sans les consulter. C’est Place Bardy qui, située à des kilomètres de St-Roch, doit héberger les expropriés du réaménagement. Il s’agit du plus gros projet immobilier public au Québec depuis la construction des habitations Jeanne-Mance à Montréal.

Le Comité des citoyens de l’Aire 10 fait savoir à la Ville son mécontentement dans un communiqué de presse. Il propose une rencontre avec le maire Gilles Lamontagne. Celui-ci réagit en dénonçant le comité, l’accusant de faire de l’agitation sociale. Ébranlés, ceux qui, au sein du Comité, tiennent à tout prix à collaborer avec la Mairie, quittent le navire. Le Comité durcit sa position.

Tiré du film "Aire 10".

Le CCR-10 multiplie les actions d’éclat sur le thème du logement.
  • En 1968, il organise une manifestation pour réclamer le terrain d’un garage municipal près des berges de la rivière St-Charles. L’emplacement du marché Saint-Roch (aujourd’hui la rue du Chalutier) est aussi revendiqué.
  • Fin 1968, il détourne la visite du ministre fédéral responsable de la commission Hellyer portant sur le problème de logement. Les enjeux du quartier sont couverts par les médias partout au Canada.
  • En mai 1969, des cabanes symboliques sont construites sur les terrains réclamés.
  • En 1969, le trajet du Rallye Tiers-Monde est détourné pour le faire passer par St-Roch, présenté à l’occasion comme le “Tiers-Monde québécois”.


L'objectif des membres par Gérald Doré, ex-animateur social. 40 sec.

Une question de classe et de cinéma

Image titre du film "Aire 10".

En 1968 un nouveau groupe est fondé, le Comité du film, résolu à produire un documentaire de 30 minutes. Ce comité se démarque par la rapidité de son évolution idéologique. Au début, il s’identifie tout autant aux marchands qu’aux résidants. Il compte sur le curé, ou sur le maire, pour l’aiguiller dans la marche à suivre.

Après une rencontre décevante avec le curé Lavoie et le secrétaire de l’Association des marchands (qui nie les effets de la spéculation), le Comité du film réalise quelque chose d’important: ses intérêts ne sont pas les mêmes que ceux des marchands.

Le Comité du film se met alors à dénoncer la concentration des pouvoirs du maire, il exige des consultations et la décentralisation des décisions. Dans les réunions, on aborde la question de la lutte des classes pour la première fois. Cette position est notable dans le film “Aire 10”, qui sera réalisé par le Comité du film.

L’école Jacques-Cartier

L'école Jacques-Cartier est aujourd'hui le
Centre Jacques-Cartier. Fondé en 1992, il favorise la formation, l’implication et l'autonomie des jeunes.

En janvier 1969, l’école Jacques-Cartier, sur le boulevard Langelier, est à vendre. Le curé Lavoie en réclame la propriété pour en faire un centre communautaire pour jeunes travailleurs. Les propriétaires refusent. Le Comité s’entête. Sept mois plus tard, en pleine année électorale, le CCR-10 apprend par les journaux que la Ville veut y installer un HLM.

En guise de consultation, le maire propose au CCR-10 de faire une proposition de construction comme les autres entrepreneurs, ce qui implique non seulement une vision originale de la démocratie, mais aussi 150 000 $ de caution. Le Comité fait un rapport critique: le projet est trop haut et trop gros. “Si vous n’êtes pas contents, faites-vous élire!”, répond le service d’urbanisme.

8 janvier 1969, le Soleil.

Prenant les fonctionnaires au mot, le curé Lavoie se lance dans l’arène électorale au sein du “Cartel du Bien-Commun”, avec l’appui du Comité des citoyens de l’Aire 10. Battu dans les districts qui regroupent toute la basse-ville, il remporte néanmoins la faveur populaire dans Saint-Roch. Suite à cet échec, le maire Lamontagne dénonce le Comité comme étant un groupe politique.


Le curé Lavoie se lance en politique par Gérald Doré, ex-animateur social. 43 sec.

Des services à la tonne

Locaux du CCR-10.

Le CCR-10 met sur pied divers services. Installé en 1967 dans ses locaux du 570, rue du Roi, ils hébergent bientôt :
  • un Centre médico-légal avec l’appui de la CSN,
  • une Clinique juridique,
  • un Comité des mères seules,
  • un Centre de référence et d’information avec le CCCQSS,
  • un regroupement des organismes contre le Bill 22,
  • etc.
Lors de la réorganisation des services sociaux, entreprise par l’État au début des années 70, tous ces services disparaitront.

Tiré du film "Aire 10".

Le Comité publie un bulletin, l’Aire 10, distribué à 3000 exemplaires. Les frais de photocopie, considérables, sont assumés par le Syndicat des Fonctionnaires et par le Syndicat des Professionnels du Gouvernement du Québec; par la suite, ce sera le CLSC Basse-ville qui prendra le relais.

L’ère des expropriations


La première étape des grands projets de rénovation urbaine est la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency. Elle menace d’expropriation 130 familles de Limoilou. En 1970, le Comité des citoyens de l’Aire 10 demande de reporter les expropriations d’ici à ce que des HLM soient construits afin d’y reloger les résidants et résidantes.

  • Fonds Réjean Lemoine, archives de la Ville de Québec
  • Fonds Réjean Lemoine, archives de la Ville de Québec
  • Fonds Réjean Lemoine, archives de la Ville de Québec
  • Fonds Réjean Lemoine, archives de la Ville de Québec

Dans Notre-Dame-de-la-Paix, 225 familles doivent être expropriées, la moitié de la population. Ceux-ci se regroupent pour obtenir une banque de logements. Ils obtiennent un rendez-vous avec le maire en 1972. Celui-ci, feignant de les appuyer, ne fait que leur transmettre de l’information sur le marché du logement privé.

Au total, la construction de l’autoroute déplace environ 1000 personnes de Notre-Dame-de-la-Paix, 700 de Limoilou et 450 de St-Jean-Baptiste. La paroisse Notre-Dame-de-la-Paix est rayée de la carte. Son église est transformée en immeuble à condos.

Dans Saint-Roch, 500 logements sont détruits. La Ville consacre 0.5% du cout total des rénovations pour dédommager les expropriés. Parallèlement, elle en consacre 43% pour baisser le prix des terrains au profit des grands commerçants.

Puisqu’il y a plus de logements détruits que construits, les expropriés doivent être relogés ailleurs, parfois à l’extérieur du quartier. Ceux qui n’ont pas la “chance” d’atterrir dans un HLM doivent payer des loyers beaucoup plus chers. Les expropriations contribuent à la gentrification du quartier, c’est à dire le remplacement d’une classe sociale par une autre, mieux nantie.

Loyers modiques: gloire et misère


On est en pleine ère de construction débridée d’Habitations à loyer modique (HLM). Le maire prétend pouvoir construire 500 nouvelles places en HLM, chaque année. Le président de l’Office municipal d’habitation (OMH) propose plus de démolitions, tout en ajoutant que “l’activité municipale devrait s’arrêter dans quelques années, afin de ne pas nuire aux constructeurs privés en occupant tout le marché” (Le Soleil, 17 janvier 1970). Le Village de l’Anse, par contre, n’a de HLM que le nom, car le coût des loyers y est bien supérieur à la moyenne du quartier.

La Ville reçoit la facture en 1970. La construction de Place Bardy, dont le coût était estimé à 3 millions de dollars, coute plutôt 8 millions. En un rien de temps, la construction de nouveaux HLM s’interrompt.

L’urbaniste La Haye considère que les HLM "provoquent une perte de valeur pour les terrains adjacents”. Afin de diminuer les pertes que lui font encourir ces logements, elle doit les installer dans des secteurs moins attrayants pour les promoteurs. C’est la politique qui fut suivie avec Place Bardy, le plus gros HLM de Québec (446 unités), construit à six milles du centre de St-Roch bien qu’il soit destiné en priorité aux habitants de ce quartier.” La ville réalise son erreur: un complexe de cette ampleur fait une zone interdite au développement privé autour.”
Ezop - Québec une ville à vendre cahier 1, François Lamarche, p. 158.

De toute façon, le Comité des citoyens de l’Aire 10 n’apprécie pas la formule des gigantesques HLM telle que mise de l’avant par la ville. Il préfère une formule coopérative à visage humain, qui en permet l’autogestion par les habitants. Les coops sont perçues comme une façon de rénover le quartier sans expulser personne et sans dépendre de la mairie. Le curé Lavoie fonde d’ailleurs la coop d’habitation Saint-Roch 1, et une coop funéraire.


Les coopératives vues par Gérald Doré, ex-animateur social. 41 sec.


La coopérative d’habitation Saint-Roch 1, sise au 540, rue du Roi, est fondée en 1974. Elle doit être la première d’une série. Elle en sera la seule. Vestige des idées brouillonnes du curé Lavoie, elle est finalement liquidée en 2008.

Il faut attendre 1977 pour voir apparaître la Coop Centre-Ville, 771 à 779 rue du Roi, sous l’inspiration des coops de Saint-Sauveur. Elle est choisie par le comité de requérants pour bloquer un projet du propriétaire du terrain voisin qui souhaite agrandir son stationnement. À cette époque, le CCR-10 n’est presque plus actif mais son inspiration se fait sentir.

Les efforts de promotion des logements coopératifs prendront du temps avant de produire leurs fruits. Aujourd’hui, la majorité des coopératives de Saint-Roch se trouvent sur les terrains jadis revendiqués par le CCR-10. Dans le quartier, 12 immeubles coopératifs sur 17 ont été bâtis à l’endroit où s’étendaient les rails du Canadien Pacifique. Ces coopératives existent depuis 1982.

Emplacements des coops de Saint-Roch, tiré du site web de la FECHAQC.

Une occup’ pour sauver les meubles


Le Comité des citoyens de l’Aire 10 est aussi victime d’une forme déguisée d’expropriation. En 1965, la propriété des locaux du Comité, rue du Roi, est transférée à COBEQ, l’ancêtre de Centraide. Souhaitant y installer une garderie, COBEQ donne 10 jours au CCR-10 pour quitter les lieux.

En réponse, 50 personnes occupent les locaux. L’opération porte fruit: ils obtiennent du financement du Service Familial de Québec pour un an. C’est ensuite le Secrétariat social du curé Lavoie qui achète l’immeuble en 1974. Deux ans plus tard, l'immeuble est vendu à la corporation Centre communautaire du centre-ville de Québec.

L’expérience laisse un goût amer au Comité qui réalise la précarité de sa situation. Malgré tout, ses membres retombent vite sur leurs pattes. La rivalité avec Centraide refera jour en 1974 sur la question du financement.

Radical, pas radical

A quel endroit se situe le Comité sur le spectre politique? En septembre 1970, les groupes populaires, dirigés par le CCR-10, déposent un mémoire symbolique à la Commission sénatoriale sur la pauvreté. Il y est écrit:
Votre comité sénatorial ressemble à toutes les autres commissions d’enquête. Il est un moyen que les politiciens ont trouvé pour distraire les pauvres, pour les empêcher de crier fort, de faire du bruit et peut-être de se révolter. (...) Nous ne voulons plus laisser à d’autres le soin de trouver des solutions aux problèmes que nous affrontons quotidiennement (...) ne plus laisser à d’autres le pouvoir d’orienter les décisions qui nous concernent. Ce pouvoir, nous voulons l’exercer nous-mêmes.” Le Soleil, 1 septembre 1970, tiré de Les comités de citoyens de Québec: Contribution à l’histoire du mouvement populaire à Québec, Pierre-André Tremblay, p.187.

Le CCR-10 souhaite que la classe populaire prenne elle-même les décisions qui la concerne. Il est donc très critique face à la politique partisane. On a vu aussi que le comité du film adopte un discours marxiste de lutte des classes. Dans le film « Aire 10 », les politiciens sont même qualifiés de « parasites ».

On pourrait donc être tenté de croire que le CCR-10 est un groupe d’extrême-gauche. Mais son discours lors de la Crise d’Octobre infirme cette possibilité. Octobre 1970 et la Loi sur les mesures de guerre jettent un froid sur ses militantes et militants. Ils sont pourtant épargnés par la répression policière. Le CCR-10 utilise les évènements : en jouant sur la crainte de la révolution, il pouvait se présenter comme un groupe raisonnable face aux autorités.
Le comité de l’Aire 10 considère comme une menace à l’avènement d’une société démocratique plus juste la conception marxiste ou maoïste de la révolution (…). Par ailleurs, le Comité des citoyens considère comme un mal nécessaire l’application de la loi des mesures de guerre. » Télégramme au Premier Ministre du Canada, 24 octobre 1970, cité par Doré & Mayer 1972, p.86.

Toutefois, le Comité se questionne: son but est-il d’offrir des services ou de conscientiser les gens sur les méfaits du capitalisme et de l’État?

L’enlèvement des voies ferrées


Jadis l’un des plus formidables outils de développement économique du quartier, les rails deviennent une nuisance dans les années 60. Non seulement ils encombrent la chaussée de la rue Prince-Édouard, mais ils occupent toute la rive de la Saint-Charles. Le chemin de fer s’étend du quartier Saint-Sauveur jusqu’à la Gare du Palais.

Le Comité s’intéresse à la question des rails dès 1968. Il lorgne les terrains pour y bâtir des logements coopératifs. La Ville souhaite également leur disparition mais le dossier traine depuis au moins 1965. À ce sujet, l’entrée en scène du curé Lavoie en 1971 s’accompagne d’une série d’actions d’éclat.
  • Le 16 mars, une manifestation s’organise et une pétition est lancée.
  • Le 19, le CCR 10 s’allie avec le Comité de citoyens et citoyennes de Saint-Sauveur.
  • Le 22, autre manif sur les rails. On encourage les gens à y déposer leurs poubelles. Cinq jeunes, un vicaire et un membre du conseil d’administration du Comité des citoyens de l’Aire 10 sont arrêtés.

23 mars 1971, le Soleil.

La tactique attire l’attention. Le curé obtient une rencontre avec le Premier ministre Trudeau et le député fédéral du comté. On met à sa disposition deux autobus pour une tournée d’opposition à la compagnie de train Canadien Pacifique, jusqu’à Vancouver. Le curé rêve de mobiliser les 200 à 300 comités de citoyens canadiens dans une campagne nationale. Il les invite, par courrier, à boycotter la compagnie de chemin de fer.

Le 13 avril, le curé menace de faire campagne sous étiquette créditiste si les rails ne sont pas enlevés. Il obtient l’appui de la FTQ, lance une campagne publicitaire, rencontre un ministre et intervient à l’assemblée des actionnaires.

L'excentrique curé Lavoie installe un "igloo" en plexiglass sur les rails. Le Soleil, 25 juin 1974.

Malgré son activisme, le curé Lavoie sera tenu à l’écart du groupe chargé des procédures d’enlèvement des rails. Il n’est au final composé que d’élus municipaux et fédéraux et de représentants des compagnies ferroviaires. Les rails seront enlevés quelques années plus tard.

La Clinique Populaire d’Architecture

En 1971, est créée la Clinique Populaire d’Architecture. Son premier mandat est d’élaborer un projet d’habitation communautaire avec participation de la population. Ses membres ainsi qu’un professeur viennent de l’École d’architecture de l’Université Laval. La Clinique est lancée grâce à Perspectives Jeunesse, un programme fédéral offrant des subventions aux étudiants. Elle...
  • offre son expertise,
  • rédige des plans de HLM,
  • travaille à l’élaboration des plans du HLM de la Chancelière, rue Saint-François Est,
  • fait des contre-propositions sur le projet de pont Québec-Lévis,
  • suggère des aménagements alternatifs etc.

En octobre 1972, la ville annonce la construction d’un hôtel Holiday Inn en face de l’église Saint-Roch. Des militants de la Clinique d’architecture répondent par une manifestation où ils dénoncent l’abandon du mail St-Roch aux gens d’affaires alors que 1000 personnes sont expropriées.

Couvent en 1971, archives de la Ville de Québec.

Le terrain convoité est alors occupé par le couvent des Dames de la Congrégation, bâtiment scolaire construit en 1843. La ville tient beaucoup à avoir un "lieu propice aux activités diurnes" connecté au mail Saint-Roch.

Pour faciliter les choses à l’entreprise privée, la Ville achète les terrains pour 955 000 $. Elle se tourne ensuite vers Home Smith Properties pour lui demander de construire un gros hôtel, le tout assorti d’une offre imbattable:
  • démolition du couvent aux frais des contribuables,
  • loyer de 10 000 $ pour 10 mois et de 22 500 $ par la suite.

À l'origine un hôtel Holiday Inn, il est
aujourd'hui l'hôtel Tryp Pur.

L’Aire 10 est divisée en deux zones par le service d’urbanisme de la Ville de Québec. Au total, c’est près de 5 millions de dollars qui seront dépensés par la Ville dans les zones 1 et 2 pour du développement entièrement privé.

Les zones de rénovation urbaine, Rapport Ezop.

La zone 2 est un grand espace résidentiel au sud du boulevard Charest, entre le cinéma Place Charest et la rue de la Couronne. Pendant 18 ans, la Ville rasera les bâtiments qui s’y trouvent dans l’objectif d’y ériger un complexe comprenant des hôtels et un centre commercial. Le projet sera nommé la Grande Place et ne verra jamais le jour. La Ville y dilapidera des millions dont profiteront quelques spéculateurs.

La zone 1 est composée de 3 lieux distincts que le service d’urbanisme consacre au développement résidentiel.

Démobilisation et querelles internes

L'éxécutif du CCR-10, film "Aire 10".

En 1972, les démissions du président du conseil d’administration et d’un permanent du CCR-10 marquent une rupture entre “intellectuels” et “gens de la base” au sein du comité. Elles révèlent un malaise et des querelles internes qui ne cesseront d’empirer. En parallèle, l’État reprend le contrôle sur le développement communautaire en lançant ses propres programmes de financement. Les services, entre autres le Centre médico-légal mis sur pied à la fin des années 60, disparaissent.

Les membres sont démobilisés. Les responsabilités se concentrent entre les mains de peu de gens, dont les militants d’extrême-gauche qui sont très présents à l’Aire 10. Des membres du CA participent à des sessions de formation d’EN LUTTE!, un groupe marxiste-léniniste. Ils sont par la suite critiqués par les autres pour avoir "sacrifié tout le travail de base à la révolution". De plus, la rénovation urbaine se déplace petit à petit vers le quartier Saint-Sauveur. La raison d’être du CCR10 s’étiole.

EN LUTTE! 1 mai 1973.

L’idée de fonder un parti municipal populaire émerge en 1973. Plusieurs s’y opposent à cause du fiasco de l’élection de 1969 et de l’échec du FRAP montréalais. Mais d’autres persévèrent et publient en 1975 un “Manifeste pour un Mouvement d’Action-Populaire Urbaine à Québec”, qui sera à l’origine du Rassemblement Populaire.

En 1974, Centraide décide de diminuer les subventions au Comité de l’Aire 10. On lui reproche notamment de ne plus mobiliser suffisamment. En réponse, divers groupes s’unissent pour fonder le Fonds de solidarité des groupes populaires. Y participent :
  • le Groupement des Locataires du Québec Métropolitain,
  • l’Association Coopérative d’Économie Familiale,
  • le Comité des Citoyens et Citoyennes du Quartier Saint-Sauveur,
  • le Comité des Citoyens et Citoyennes de l’Aire 10.

L’objectif optimiste est de s’autofinancer. Néanmoins, le CCR-10 reviendra vite vers Centraide. Le fonds organise une campagne de financement permettant de faire quelques activités, mais ce n’est pas suffisant pour remplacer complètement le financement de Centraide. Le fonds poursuit toujours sa mission aujourd’hui.

Droit de parole apparait dans la foulée. Ce journal populaire est dédié à l’actualité communautaire des quartiers centraux. En 1978, l’idée d’une radio communautaire, CKIA, prend forme. La couverture des médias traditionnels est jugée insatisfaisante. Par souci d’indépendance, les groupes populaires mettent sur pieds leurs propres médias afin de mieux faire connaitre leurs actions, objectifs et préoccupations. CKIA et Droit de parole sont toujours en activité aujourd’hui.

Décembre 1975, Droit de parole.

En 1974, la Clinique d’Architecture réalise une enquête et une maquette alternative sur la zone 2. Ils organisent ensuite une exposition itinérante sur le quartier accompagnée d’une pièce du Théâtre Euh! sur le réaménagement.

Tiré de Théâtre en lutte, le Théâtre Euh!

Le Théâtre Euh! est une troupe itinérante qui aborde les enjeux sociaux avec humour et dérision. Elle se distingue dans les milieux syndicaux et populaires de Québec. La pièce Un, deux, trois... vendu traite spécifiquement de rénovation urbaine. La troupe est dissoute en 1978 pour rejoindre le Théâtre à l'Ouvrage, elle-même affiliée à l’organisation marxiste-léniniste EN LUTTE!

Vers 1975-76, on remarque au sein du CCR-10 grosso modo 4 idéologies:
  • nationaliste, Jeunesse ouvrière catholique (JOC) ou PQ
  • social-démocrate, Rassemblement Populaire ou PQ
  • extrême-gauche, EN LUTTE! ou Ligue Communiste Ouvrière
  • libertaire, groupe Q-Lotté

Le CCR-10 souhaite briser le "mur politique". Tiré du film "Aire 10".

Divers groupes tentent de récupérer le Comité des Citoyens de l’Aire 10 à leur profit. En 1978, suite à des rumeurs de noyautage par les marxistes-léninistes, des sympathisants du Rassemblement populaire remplissent la salle d’une assemblée générale. Ils y font élire 9 membres au conseil d’administration. Selon des témoins, l’intention de ce CA est de “fermer” le comité. Les avis divergent: certains disent que le Comité ne signifie plus rien. D’autres considèrent que toute l’énergie doit être investie dans le nouveau parti du Rassemblement populaire.

Malgré tout le CCR-10 trouve l'énergie pour participer à un colloque à Montréal réunissant une vingtaine de groupes du Québec. Ils dénoncent la destruction des quartiers populaires et leur gentrification provoquées par des programmes lancés par tous les paliers de gouvernement. L'objectif est d'établir un rapport de force avec l'État. Peu après, le regroupement prendra le nom de Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

Le baroud d’honneur du Comité a lieu autour du projet de construction du Palais de Justice, en 1979. Le CCR-10 « estime qu’il est temps qu’on cesse de vider le quartier, de fermer les écoles et de déshumaniser l’environnement ». Comme à ses débuts, elle exige de vraies consultations publiques. La contestation n’ira pas plus loin.

Le CCR-10, dominé par les militantes et les militants du Rassemblement populaire préoccupés prioritairement par les élections, est moribond. C’est un corps dont le cœur a cessé de battre. Sur papier, le CCR-10 cesse officiellement d’exister lorsqu’il quitte le Fonds de solidarité des groupes populaires, le 31 juillet 1981.


Les gains du CCR-10 par Gérald Doré, ex-animateur social. 19 sec.

Plusieurs facteurs expliquent la fin du CCR-10.
  • Les querelles idéologiques internes,
  • La fatigue d’une poignée de ses militants et militantes de plus en plus éloignés de la base,
  • Le pouvoir hégémonique du maire,
  • La terminaison du processus de rénovation-démolition du quartier.

À la fin des années 70, de larges zones de Saint-Roch ne sont plus que terrains vagues, stationnements et autoroutes. Les bulldozers, grues et pelles mécaniques ont fait leur besogne. Dans les quartiers centraux, en tout et partout, 4000 logements ont été démolis. La population est exsangue et les promoteurs sont ravis. C’est dans ce contexte morose que le Comité des Citoyens de l’Aire 10 s’éteint.

Le CCR-10 n’existe plus, mais de nombreux projets lancés ou inspirés par ce comité poursuivent leur existence aujourd’hui. Le Fonds de solidarité des groupes populaires, le journal Droit de parole, de nombreuses coops d’habitation, une coop funéraire et des HLM. Même le Rassemblement Populaire, qui prendra le pouvoir municipal en 1989, est né de l’initiative de gens proches du CCR-10. Véritable bâton dans les roues d’une machine municipale et d’un maire autocratique, il a eu un impact positif sur le processus de « rénovation urbaine » à Saint-Roch.

Pour en savoir plus

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